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ENFANTER AU JAPON - Hier et aujourd'hui - M.Jolivet


ENFANTER AU JAPON :

les conditions de naissance, hier et aujourd'hui
Muriel Jolivet




     Jusqu'à la fin du Xlxe siècle, les femmes des classes populaires accouchaient avec l'aide d'une matrone (toriagebâsan ou sambasan) ou seules dans une pièce spéciale afin que leur sang ne souille pas le reste de la maisonnée. La rudesse des travaux ménagers ainsi que la vie accroupie rendaient les accouchements moins laborieux et les techniques des sambasan (massage du périnée à l'aide d'application de serviettes chaudes humides) facilitaient le déclenchement naturel du travail.

     Les témoignages du folkloriste Yanagida Kunio nous révèlent que l'infanticide était aussi couramment pratiqué (plus que l'avortement qui mettait la santé de la femme en péril), surtout dans les régions les plus démunies, telles que le Tôhoku (Pour le détail des techniques employées ainsi que pour le décryptage de certaines coutumes ou de personnages mythiques dont la relation avec l'infànticide est raremet connu, voir le chapitre V de M. Jolivet: « Un pays en mal d'enfants ), Ed. La découverte, Paris. 1993) A la fin de l'ère Meiji (fin du Xlxe siècle), le savoir ancestral des matrones a été détrôné par l'institution d'une école de sages-femmes qui leur délivrait un diplôme d'État.

     Le gouvernement (dont la politique était très nataliste jusqu'à la fin de la deuxième guerre mondiale, à cause de la perte d'hommes due à la politique d'expansion militaire) voulait réduire la mortalité infantile en renforçant l'hygiène et interdire les pratiques abortives ou l'infanticide.

     Le triomphe des sages-femmes sur les sambasan apparut sous forme d'une baisse considérable de la mortalité infantile ainsi que de celle des parturientes. C'est aussi à cette époque que remonte la position couchée adoptée pour l'accouchement qui se faisait autrefois en position assise. En 1948, le gouvernement a voté une loi autorisant les sages-femmes à diagnostiquer et non pas à traiter médicalement les parturientes. Cela a considérablement limité leur rôle en attribuant au corps médical toutes les responsabilités. Avec la passation des pouvoirs aux médecins, les sages-femmes se sont vues reléguées au rang d'assistantes voire de servantes.

     La troisième étape a été mise en place après le baby boom (1947-1949) ; la politique étant alors d'inciter à la limitation des naissances. C'est ainsi que l'avortement a été autorisé, dès 1948, jusqu'à la 24e semaine de grossesse (22e actuellement, ce qui correspond à la 17e en France, les grossesses étant calculées sur quarante semaines soit sur 280 jours). La diffusion des méthodes contraceptives remonte aussi à cette époque mais les « surprises " étant fréquentes, l'avortement reste - aujourd'hui encore - le recours ultime en cas d'échec, comme en témoigne le nombre des avortements:
- 1955 - 1 170 143 (chiffre officiel) ;
les années suivantes - 500 000/ an (chiffre correspondant vraisemblablement à la moitié ou au tiers des avortements déclarés.

     C'est entre 1960 et 1970 qu'on passe de l'accouchement à domicile à la généralisation de l'hospitalisation. En 1950, 95 % des femmes japonaises accouchaient chez elles avec l'aide d'une sage-femme, contre 4 % seulement en 1970. En 1975, 90 % des femmes japonaises accouchaient avec l'aide d'un médecin (D'après Funabashi Keiko « Médicalisation de la reproduction de la vie au Jupon et articulation des thérapeutiques traditionnelles avec /a médecine orientale )', Colloque « Tradition et Modernité», 1988.)

     Coïncidence ou conséquence indirecte de la nucléarisation de la famille et de l'urbanisation? Toujours est-il que la généralisation de l'hospitalisation correspond à la disparition progressive de toute assistance bénévole à la femme en couches. " Autrefois, il y avait toujours une grand-mère disponible dans le village pour donner un coup de main alors qu'aujourd'hui avec le désir d'égalité généré par la démocratie, toutes les solidarités ont disparu ... ", nous confiait une ancienne sambasan de 88 ans.

La généralisation de l'hospitalisation a eu les conséquences suivantes:
- la médicalisation des accouchements et l'augmentation progressive des césariennes, la pratique systématique de l'épisiotomie, la programmation des accouchements et le déclenchement du travail (surtout si l'accouchement risque de se produire un dimanche ). Tout ceci requiert la coopération de l'accouchée à qui il est demandé une soumission totale (d'être complètement passive). On lui dit ce qu'elle doit faire, sans jamais lui demander ce qu'elle veut faire.
- une baisse progressive de la mortalité infantile, devenue la plus faible du monde (5,5%°) alors que le nombre de femmes qui meurent en couches reste proportionnellement assez élevé (15,3°;0000. Serait-ce que l'on donne la priorité à l'enfant sur la mère?

CARACTÉRISTIQUES ACTUELLES DES ACCOUCHEMENTS

     En dépit de la médicalisation susmentionnée, la péridurale n'a pour ainsi dire pas été introduite au Japon (à peine 10 % des accouchements se faisaient sous péridurale en 1978). Mon impression personnelle est que la douleur est valorisée en tant que favorisant l'éveil de " l'instinct» maternel (voir à ce sujet les théories de Hirai Nobuyoshi ou de Kobayashi Nobor - M.jolivet "unpays en mal d'enfants" ed.La découverte. Paris.1993 - chapitre IV). La douleur semble aussi avoir valeur de rite de passage, attribuant à la femme le seul statut qui soit respecté: celui de mère. C'est une épreuve d'endurance (gaman), qualité extrêmement encouragée au Japon. Elle permet éventuellement aussi à la mère de conditionner ses enfants en leur rappelant qu'ils l'ont faite souffrir " Harao itamete unda » (naître en faisant souffrir) est une exclamation que les enfants entendent encore soupirée par leur mère.

     Une autre preuve peut-être trouvée dans le fait que l'accouchement sous acupuncture est extrêmement peu pratiqué (sauf dans quelques petites cliniques isolées et dont on ne parle jamais) alors qu'il est" naturel» et complètement indolore (" un vrai plaisir », au dire d'une femme médecin qui l'a expérimenté). Quand j'ai demandé à une sage-femme japonaise pourquoi cela n'était pas plus courant, elle m' a répété méthodiquement les théories de Hiraï Nobuyoshi, à savoir que la douleur" créait» l'attachement.

     L'accouchement a beau être" médicalisé », il n'est pas remboursé, de même que tout le suivi de la grossesse, qui n'est pas considérée comme une maladie. C'est encore chaque famille - et non pas la société - qui supporte les frais qu'entraîne l'accouchement, la couverture sociale étant fonction de celle de l'employeur du mari. Elle est donc fluctuante.

     En réaction à la médicalisation de l'accouchement, à la passivité requise de la parturiente, à la systématisation de l'épisiotomie, au déclenchement du travail, aux accouchements à la chaîne pratiqués par les grands hôpitaux qui empêchent les accouchements" naturels» qui prennent trop de temps, un mouvement de " retour aux sources» s'est organisé autour des sages-femmes qui réapprennent les techniques ancestrales des sambasan et qui proposent de revenir aux accouchements à domicile, sans intervention médicale (plus besoin de médecin qu'il n'y a pas d'épisiotomie, les sages-femmes n'étant pas autorisées à les pratiquer et à les recoudre. Seul le chirurgien est habilité à faire ces actes). Les sagesfemmes préconisent aussi une dilatation naturelle en prenant le temps nécessaire.

 Est-ce un retour en arrière pour une naissance plus humaine? Sans doute, mais n'oublions pas que le Japon a toujours su allier les méthodes modernes avec les méthodes traditionnelles. C'est sans doute ce qui explique aussi  la vogue constante du chichimomi ou des massages des seins à l'aide de compresses humides et chaudes qui permettent d'éviter les engorgements et de réguler la production en fonction des besoins de l'enfant sans aucun recours aux médicaments (cf, le succès de la très célèbre école d'allaitement Oketani). Le cas de la clinique du Docteur Yoshimura à Okazaki (près de Nagoya dans le Kansai) est assez symptomatique de ce retour en arrière avec une valorisation du naturel et de l'ancien. Ce médecin facilite le travail de ses parturientes en leur faisant casser du bois ou tirer de l'eau du puits. Les résultats semblent probants puisqu'il se vante de n'avoir que 0,84 % de césariennes.

Bibliographie :

En langue japonaise:

1. Fujita Shin'ichi. Osan Kakumei (Révolution dans les accouchements), Asahi Shimbunsha, 1979.

2. Hara Hiroko & Wagatsuma Hiroshi. Shitsuke (Education et socialisation de l'enfant), Kôbundô, 1974; Japanese Childhood since 1600 (avec MINAGAWA Meiko), non publié.

3. Kamata Hisako (coll.). Nihonjin no koumi, kosodate (l'art de mettre des enfants au monde et de les élever), Keisâ Shobâ, Tokyo, 1990.

4. Kikuchi Sakae. Osan ga yuku (en route pour l'accouclhement !), Nâbunkyâ, 1992.

5. Ochiai Emiko. Kindai Kazoku ta feminizumu (la famille moderne et le fémi-

nisme), Keisâ Shâbâ, Tokyo, 1989.

1 En langue française:

l" Funabashi Keiko. " Médicalisation de la reproduction de la vie au Japon et
articulation des thérapeutiques traditionnelles avec la médecine occidentale. Colloque "tradition modernité 1988
2. Les dossiers de l'obstétrique. Journal d'une japonaise ayant accouché en
France. Avril 1989 (161)

Interview de Muriel Jolivet

Q. : Qui est Muriel Jolivet?

R. : Je suis Docteur en Études Orientales et Professeur Associé à l'Université Sophia de Tokyo au Japon.

Je suis mariée et j'ai deux filles de 6 et 9 ans scolarisées dans le système français après 5 ans de crèche japonaise. Mes deux filles sont nées à l'Hôpital Seibô (St Mary International Hospital) au Nord de Tokyo.

J'ai fait différents travaux notamment la version japonaise du livre de G. Delaisi de Perceval "l'art d'accomoder les bébés», une étude sur l'histoire des accouchements. Et j'ai en préparation un livre sur" les hommes japonais» et leur évolution, et un autre livre sur les femmes exclues, celles à qui l'on ne donne jamais la parole (femmes battues/divorcées/ étrangères qui viennent rechercher de l'aide/celles qui ont martyrisé leurs enfants/ les alcooliques /etc ...

Q. : Pourquoi avez-vous un tel intérêt pour la maternité et la situation des mères au Japon?

R. : Mon intérêt pour la maternité s'est développé devant le manque d'enthousiasme ambiant et la souffrance des mères que je percevais intuitivement : mères excédées, peu ou pas épanouies et ne mettant jamais en question leur desir d'avoir des enfants (désir 7 devoir 7 obéissance 7). Or, derrière ce manque d'enthousiasme, je percevais un effort terrible de la part des mères pour correspondre à la mère idéale prônée par la société (telle la Vierge mère qui endure tout et ne se fâche jamais etc ... ).

Je me demandais:

- si toutes les mères japonaises avaient toutes la vocation 7

- quelles pouvaient bien être les contreparties de leur dévouement 7

Je percevais un message très contradictoire. D'une part, une sorte de fatalisme, de résignation et d'autre part une fureur (contre leur condition et surtout envers leur mari). Je remarquais surtout un décalage énorme entre l'évolution des femmes (qui considéraient normal d'être épaulées, -ne serait-ce qu'un peu, -par leur mari) et le manque d'altruisme de ceux-ci. La plupart ne se doutent pas de l'état de dépression de leurs épouses. Cela les dérangeraient dans leur vie et leur petit confort.
Ceci est à l'origine d'une escalade des problèmes et notamment le martyr des enfants. Ils deviennent le bouc émissaire du mari indifférent (cf le livre" un pays en mal d'enfants» passage intitulé" plus j'ai envie de taper sur mon mari, plus je tape sur mes gosses »)
Mais en dépit du ton alarmiste du gouvernement, les femmes, mine de rien et sans ruer dans les brancards font de moins en moins d'enfants et avortent de plus en plus.

Q. : Comment votre livre a-t-il été accueilli au Japon?

R. : La traduction japonaise est en pourparlers. Ce qui a le plus intéressé c'est ma vision/présentation de l'infanticide et des contradictions du culte boudhique. C'est aussi le portrait que je fais des jeunes, cette vision des jeunes insouciants.

Pour joindre Muriel Jolivet, vous pouvez lui écrire à :
Université SOPHIA French départment, Kioi-chô 7-1, Chiyoda-ku, TOKYO 102 (Japon)
Titre: " Un pays en mal d'enfants » Crise de la maternité au Japon. Éditeur: Ed. La découverte - 9 bis rue. Abel-Hovelacque, 75013 Paris.

Sommaire:
1. Les jeunes mères dans l'impasse
(Le" mal-être d'une femme ordinaire, l'isolement absolu et le mal des grands ensembles, du "baby blues" à la névrose, "dire que j'aurais pu le tuer! ", le spleen de la carrière interrompue, entre boulimie et anorexie).
2. Des enfants, pourquoi?
(Des mariages de plus en plus tardifs, le sens de la procréation, études et travail, des priorités qui ne se discutent pas).
3. Les pères
(Les pères japonais aiment-ils leurs enfants? Autrefois les pères n'étaient pas comme ça, aimes-tu ton père? les pères sont-ils exclus ou absentéistes ?)
4. Les dix commandements de la bonne mère
(A ton foetus t'attacheras, le QI de ton foetus amoureusement développeras, dans la douleur accoucheras, avec bébé jour et nuit un corps à corps assumeras, nuit et jour pendant un an ton bébé allaiteras, la nourriture de ton enfant amoureusement prépareras, les couches de ton bébé toi-même laveras, de l'altruisme sans compter sur ton enfant déverseras, ton instinct maternel énergiquement réveilleras, toute activité professionnelle pendant cinq ans (au moins suspendras).
5. Nostalgie de la mère d'autrefois
(Le syndrome d'Oshin, ni sainte ni martyre, ni tout à fait dieu ni tout à fait homme).
6. Le malaise démographique
(Des idées en avances sur les comportements, le supplice des enfants de l'eau, le rituel d'apaisement des enfants de l'eau).
7. La nouvelle donne
(Le syndrome de Hanako, le recul du mariage, le marché des" incasables ", l'importation d'épouses étrangères pour les paysans, il n'y a pas que le sexe dans la vie, l'école des maris).
8. L'exploit des mères actives
(Quelques témoignages, " nouveaux pères" et " nouveaux maris ", le prix de la réussite, un certain bonheur).














17/07/2009
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