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humanisation et naissances-Congrès-Royan-1994

actes du congrès de Royan (mai 1994)


Congrès de Royan - Mai 1994 - editorial, jeannette bessonart


Les articles sous le thème de HUMANISATION ET NAISSANCES
ont été présentés au congrès de Royan en Mai 1994




EDITORIAL

UN CHALLENGE MODERNE

Allocution d'accueil au Congrès de Royan (Mai 1994)

     Que peuvent signifier ces deux mots si proches parlant d'HUMAINS ET DE VIE ?

     y-a-t-il encore quelque chose à dire sur humanisation et naissance tellement de nombreux débats ont déjà eu lieu sur ce sujet?

     Je pense qu'il y a encore et toujours quelque chose à rappeler. Chacune, chacun d'entre vous a certainement des idées à échanger. D'autant plus que dans nos sociétés contemporaines, les liens de solidarité entre les humains perdent de leur intensité, de leur actualité et que la Vie, la Mort risquent de perdre tout leur SENS.

     L'association SAGES-FEMMES International poursuit plusieurs objectifs sur le thème « de l'humanisation » qui est le sujet de notre 4e congrès international.

     Tout d' abord, je voudrais m'adresser aux personnes qui, dans cette assemblée, sont autres que sages-femmes. Nous sommes heureuses de vous accueillir et de vous faire partager « l'intimité» de nos vies professionnelles. Par des « paroles de sages-femmes» vous allez mieux comprendre ce que représente la« CULTURE SAGE-FEMME» de la naissance, ce que nous vivons, ce que nous pensons. C'est une bonne occasion pour vous car nous sommes mal connues ou ignorées. On dirait que les sociétés ont oublié leurs « sages-femmes ». Peut-être les sages-femmes ne savent-elles pas parler d'elles? A ce congrès, une des paroles de sages-femmes est l'exposition de photos, dans le hall du Palais des Congrès.

     Ccongrès est aussi pour vous, mes chères collègues sages-femmes. Il est fait pour renforcer vos analyses, vos motivations, vos compétences, votre plaisir d'être sage-femme par la connaissance de ce qui se passe ailleurs et l'échange de réflexions fondamentales avec les autres professionnels.

     Par ce congrès, nous voulons, en effet, permettre aux différents professionnels de la naissance, de se rencontrer au niveau international, en dehors des lieux de travail, afin que se créent (ou se renforcent) des liens de confiance et d'échanges. Nous souhaitons que ce temps privilégié de 4 jours, nous permette de faire le point des prestations spécifiques de chacun d'entre nous pour l'accompagnement des naissances. La richesse des sujets traités par les professionnels et les parents, en plénières ou en tables rondes, nous permet d'envisager un bel échange où nous pourrons nous apprécier.

     Ensuite, en invitant des parents à participer à cette manifestation, nous espérons faciliter les échanges entre parents et professionnels, en dehors des établissements de soins publics et privés. Ce peut être un « plus» de considérer les parents comme des partenaires pour réussir ensemble les naissances et donner à la vie toutes ses chances. Déjà, je puis vous dire que les interventions des mères lors des plénières et en table ronde nous permettront d'établir des relations encore plus efficaces et réconfortantes. Une mère me disait un jour: « Vous, les sages-femmes, vous êtes le confort des mères ». Ce à quoi on peut répondre que les mères sont le réconfort des sages-femmes !

     Mais, attention. Réfléchir sur l'humanisation du suivi des naissances, ce n'est pas seulement parler de l'émotionnel, accueillir avec le sourire, aplanir les angles, et faire« guilli, guilli, qu'il est beau ce bébé ... ». Il faut avec tout cela, se positionner par rapport à l'environnement politique et social périnatal et analyser si cet environnement nous permet d'adopter des conduites humaines pour un accompagnement global de la naissance. Entendons-nous bien sur l'idée d'ACCOMPAGNEMENT GLOBAL DE LA NAISSANCE. Quand j'ai lancé ce concept, il y a quelques années, je ne pensais pas qu'il serait largement repris aujourd'hui et souvent déformé. Aussi, allons-nous durant tout ce congrès nous attacher à le repréciser.

     je ne peux que vous souhaiter un bon congrès, au niveau scientifique mais aussi pendant les détentes.
                                                  Jeannette BESSONART Sage~femme

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14/07/2009
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HUMANISATION ET NAISSANCE, jeannette bessonart

HUMANISATION ET NAISSANCE

Jeannette BESSONART*

     Etre humain dans l'accompagnement global de la naissance, c'est une façon de prendre en compte la totalité de l'événement NAISSANCE dans les vécus et l'environnement périnatals, aux niveaux intime, familial, sanitaire, social, culturel.

     Les VÉCUS dont il est question, c'est:
- le bonheur et (ou) la surprise d'être enceinte avec l'inquiétude et le questionnement,
-le besoin d'information vraie sur les phénomènes psychiques et physiologiques de la maternité/paternité, - le plaisir et la douleur de mettre au monde,
- l'apprentissage des attitudes et postures qui facilitent l'enfantement et qui rendent autonomes, -le partage de la joie en famille,
-la convivialité de proximité du milieu de vie et de travail.

     Tout cela sont des concepts et vécus essentiels et on ne peut pas réduire la naissance uniquement à la pathologie obstétricale. Tout cela vécu autant que possible dans une unité de lieu et de continuité des soins : unité de lieu ? à proximité de chez soi, dans son quartier, sa ville, et pendant tout le cheminement de la grossesse jusqu'aux suites de couches. Unité de suivi? par la même personne ou une équipe réduite afin d'éviter le morcellement des relations et la dépersonnalisation.

     Le vécu de la naissance, c'est aussi:
-l'expérience de l'autonomie et la force de vivre ses choix, pour les parents et les professionnels, -l'entrée dans une société avec ses rites, ses traditions, ses lois,
- le soutien par les professionnels de la physiologie de la maternité par une pratique avisée de la prévention périnatale et le traitement des pathologies obstétricales réelles pré-existantes ou déclenchées par la maternité. Vous voyez donc que le traitement des pathologies obstétricales et la médecine occupent une infime partie d'un vaste ensemble qui aide l'humain à se construire. Nous avons besoin de la médecine mais elle ne peut couvrir le champ global de l'accompagnement de la naissance. Il nous faut en être bien convaincus.

     Tout cet ensemble des vécus est aujourd'hui largement évoqué par les professionnels et les parents et repris dans les médias écrits et audio-visuels.

     En revanche, ce qui représente l'ENVIRONNEMENT DE LA NAISSANCE ou l'espace social de confort pour les vécus de la naissance (telles l'organisation du système périnatal de santé, les décisions des politiques, l'aménagement périnatal du territoire ... ) tout cela nous semble peu étudié, peu analysé. Alors que souvent les décisions ou absences de décisions des gestionnaires politiques pèsent lourd dans nos vécus. Pour les sages-femmes actuellement peu consultées sur la périnatalité, nous nous étonnons des décisions paradoxales du Législateur qui nous reconnaît comme profession médicale dans la totalité des suivis des naissances et qui dans la pratique accepte la non utilisation au maximum de nos compétences et la réduction de notre espace professionnel.

     Donc, pour humaniser en périnatalité, il faut que chacun de nous apprenne à tenir ensemble VÉCUS ET ENVIRONNEMENT PÉRINATALS.

     Ce congrès est donc organisé pour harmoniser VÉCUS et ENVIRONNEMENT à travers le concept d'HUMANISATION.

     D'autant plus que nous assistons aujourd'hui à l'émergence d'un malaise chez des professionnels et des parents. Ce malaise est de type insatisfaction, amertume, regrets de ne pouvoir pleinement se réaliser, dans leur profession ou leur histoire de parentalité.

     Cela vient du fait que l'enfantement est appréhendé dans beaucoup de nos sociétés, non pas comme un évènement physiologique de santé, culturel, social, humain mais d'emblée comme une maladie. Comme si nous étions nés de la maladie de nos parents et non pas de leur amour.

     Le rapport épidémiologique reconnu de 80 % de physiologie et de 20 % de pathologie dans la naissance est trop souvent, artificiellement inversé par une approche de médicalisation systématique qui risque de se transformer en une « hyper-médicalisation » galopante avec ses risques iatrogènes. On considère alors que la naissance c'est 80 % de pathologie (quand ce n'est pas 100 %) et20 % de physiologie.

     Les normes« standards» de soins des pathologies obstétricales, deviennent les soins de routines et sont alors appliquées à la totalité des gestantes et des parturientes alors que 10 à 20 % en sont redevables.

     Appréhender la naissance comme une maladie favorise le déséquilibre entre l'humain et la technique, souvent au détriment de l' humain tout au moins dans les pays industrialisés. Car dans les pays en développement, il faudrait un peu plus de technique pour préserver la vie de l'humain.

     Appréhender la naissance comme une maladie change entièrement la physionomie de l'histoire culturelle, sociale, médicale de la naissance ainsi que les plans de la politique périnatale des gouvernements.

     Appréhender la naissance comme une maladie facilite la perte de qualité de ]' autonomie des parents pour gérer leur histoire de naissance qui se transforme alors en « risque de naître» inhibant« le choix et la liberté ». Les parents vivent une « inconsciente contrainte» d'une naissance-consommation favorisée par l'effet modes et médias.

     Je pense donc que parler de l'humanisation de la naissance est un grand sujet de société. Et qu'il deviendra de plus en plus d'actualité, ne serait-ce que pour des raisons financières et éthiques.

     D'autant plus qu'un élément important du malaise des professionnels et des parents ne peut être éludé. Je vous en ai déjà parlé.

     Il s'agit des responsabilités des gestionnaires politiques dans les difficultés que nous avons à faire passer l'HUMANISATION afin que les mères soient en sécurité physique et psychologique lors des naissances.

     Un exemple: le 12 avril 1994, le Gouvernement français, en la personne de Madame VEIL, a présenté son plan sur la périnatalité en faisant remarquer (je cite) « Depuis 1 0 ans, le rythme d'amélioration des principaux indicateurs liés à la naissance est moins rapide que dans les autres pays industrialisés. La France se retrouve au 13è rang des pays de l'OCDE pour le taux de mortalité périnatale ... Le Gouvernement a donc décidé d'adopter un plan d'action visant à améliorer la sécurité et la qualité de la grossesse et de la naissance ... »

Le plan se donne quatre objectifs de santé publique:
- diminuer la mortalité maternelle de 30 % (en 1991, 120 mères sont mortes en France - 13,9 pour 100000), - abaisser la mortalité périnatale d'au moins 20 %,
- réduire le nombre d'enfants de faible poids de 25 %,
- réduire le nombre de femmes peu ou pas suivies au cours de leur grossesse.

     Pour obtenir des résultats, le gouvernement fixe 16 mesures.

     Déjà nous pouvons remarquer à la lecture du contenu de ces 20 pages qu'il s'agit d'une approche de la totalité de la périnatalité comme un événement pathologique nécessitant une attitude médicalisée offensive alors qu'il faut de la prévention. Un exemple au sujet de l'humanisation: ce mot apparaît dans « l'humanisation de l'accouchement» et pour humaniser l'accouchement que propose-t-on ? « le remboursement par la sécurité sociale à 100 % de toutes les analgésies péridurales ».

     Nous verrons s'il est possible de réfléchir sur « une périnatalité globale» avec un plan ambitieux de prévention et d'éducation à la santé en tenant compte des désirs et des possibilités, des besoins et des moyens, du culturel et de l'aménagement périnatal du territoire, de la physiologie et des pathologies obstétricales, dans le plaisir et la sécurité. Quelqu'un me disait « on assiste actuellement au déménagement périnatal du territoire » avec la fermeture des maternités de proximité que l'on dit « petites maternités ». Il n'y a pas de petites et de grandes structures. Il n'y a que des structures qui répondent aux besoins des parents. Nous verrons ce que font d'autres pays. Nous espérons que le Ministre délégué à la Santé sera présent pour entendre nos préoccupations et nous donner le point de vue du gouvernement.

     Dans le plan du Gouvernement présenté le 12 avril, il est aussi fait mention de l'amélioration des prestations des professionnels. Les mesures proposées valorisent surtout les prestations techniques relevant du SA VOIR FAIRE. Nous verrons ensemble ce que peut être l'amélioration des prestations des professionnels dans la diversité des métiers et la globalité du SAVOIR, SAVOIR FAIRE, SA VOIR ÊTRE en partenariat avec les parents.

     Pour humaniser la vie, il nous paraît important de parler de cette maladie contemporaine, sorte de peste des temps modernes, dont on n'a pas encore trouvé la thérapeutique de guérison. Vous l'avez compris, c'est le Syndrome d' immunodéfiscience acquise, SIDA. Nous en parlerons sous l'angle de l'humanisation des relations entre parents et professionnels en partant des témoignages de celles et ceux qui vivent l'événement.

     Je voudrais là faire une parenthèse. Pour beaucoup de mères dans le monde, le SIDA n'est qu'une maladie de plus, ajoutée à un ensemble de problèmes et de maladies beaucoup plus répandus : guerres, sous développement, corruption, sous alimentation, anémie, paludisme, hémorragies, ruptures utérines, absence d'infrastructure de transfert, pauvreté des budgets de santé et non prise en considération de la santé des femmes, etc ...

     En effet, 500 000 mères meurent chaque année lors de leur accouchement (99 % soit 495 000 dans les pays en développement) ... Le SIDA, pour elles, peut être surajouté, il peut être la résultante et servir de révélateur d'un ensemble plus vaste de problèmes. On ne peut pas oublier les responsabilités internationales, particulièrement celles des pays industrialisés, dans la mort en couches des femmes, chaque année dans le monde.

     En mai 1990, lors de la conférence internationale sur les implications du SIDA mère/enfant, il a été fait une déclaration qui se termine comme ceci:

     Reconnaître le rôle crucial qui incombe aux femmes dans la stratégie mondiale de lutte contre le SIDA et s'employer à armer plus activement les femmes pour le combat contre le SIDA. Quatre ans après, où en est-on de ce combat avec et pour les femmes ?

     Dans ce congrès, nous analyserons aussi l'importance d'humaniser nos suivis, nos gestes professionnels en établissements de soins (publics et privés).

     Nous savons déjà en partie ce qui protège l'humain grâce au sondage que nous avons fait faire auprès de la population française, sur le lien périnatal. Ce sondage est riche d'enseignement. Il s'agissait de savoir ce qui favorisait la création et le maintien des liens périnataux entre parents, enfants et professionnels, en fait ce qui permet d'être humain.

     Les personnes interrogées pensent que:

 - ce qui protège 1 'humain pendant la grossesse, c'est la préparation à la naissance (86 % pour la population totale) - (94 % pour les 18/25 ans) (Nos concepts et nos discours de préparations à la naissance sont-ils adaptés aux 18/25 ans?)

- ce qui protège l' humain pendant l'accouchement, c'est la présence active du père (77 %) et le respect des désirs des parents pour l'accouchement (75 % ). (Est-ce que nous respectons les désirs des parents pendant l'accouchement et arrivent-ils à exprimer leurs désirs ?)

- ce qui protège l'humain pendant les suites de couches, c'est parler à l'enfant à sa naissance (85 %) et retourner précocement à la maison sous la surveillance d'une sage-femme et être aidée (51 %),

- ce qui protège l'humain au niveau du suivi médical, c'est être écouté et entendu par le personnel (85 %) et se sentir chez soi à la maternité (84 %).

Enfin, quand les personnes interrogées sont placées devant leurs responsabilités et qu'on leur demande quelle attitude des parents protège l 'humain et la création des liens à la naissance, la réponse est avoir une réflexion sur le sens profond de l'évènement qu'est la naissance (74 %).

Quant au niveau de la vie sociale, les personnes interrogées rappellent que ce qui favorise l' humain, c'est de respecter le libre choix des parents dans les étapes de la maternité (75 %).

Conclusion

     Je voudrais que nous ayons conscience que pour humaniser, il faut globaliser et qu'être humain, c'est bien!

J.Bessonart - SAGES-FEMMES International

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14/07/2009
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ACCOUCHEMENT ET ORDRE SOCIAL - une anthropologie de la naissance,A.Garrigou

POUR L'ANTHROPOLOGIE DE LA NAISSANCE:

ACCOUCHEMENT ET ORDRE SOCIAL


Alain GARRIGOU
professeur de sciences politiques,
université de Paris X,Nanterre

          L'accouchement fait figure d'archétype de l'événement.

     Envisagé dans sa singularité (<< un heureux évènement») comme dans la généralité, dans le langage ordinaire comme dans les études savantes, l' accouchement est caractérisé comme un «événement ». Cette désignation n'a peut-être pas l'insignifiance qu' on est enclin à lui prêter. Elle suggère l'imporiance d'un fait dont il est bien clair pour nous qu'il est d'importance. Un rapide examen de la littérature ethnologique suffit pourtant à établir combien cette importance est variable selon les sociétés. Simple exemple parmi d'autres, Margaret MEAD expliquait "qu' aux samoa. la naissance n' est pas un événement dont onfasse beoucoup de cas »( 1). En cette matière comme en d'autres, l'ouverture comparatiste semble imposer le relativisme des cultures contre l'objectivisme de la nature sur lequel nous croyons fonder notre vision de L'importance universelle de l'accouchement.
     Contre notre solide bon sens assimilant l'accouchement à la naissance, il ne faut pas croire que toutes les sociétés sont et surtout ont été autant et également accessibles à nos critères physiologiques. Au regard de connaissances assez récemment acquises sur l'histoire de la naissance, la chose nous paraîtra moins déconcertante lorsqu'elle concerne la place accordée à la naissance dans les représentations du cours de la vie. Certaines sociétés se chargent-elles de le rappeler en accordant une importance très variable aux différents faits ou séquences et pas forcément plus aux accouchements qu'aux autres moments. En fait, rien ne serait plus faux que de s'arrêter à une alternative entre culture et nature alors que l'accouchement est en même temps un fait physiologique et une institution sociale. Bronislaw MALINOSWSKI remarquait que « l'acte de naissance apparaît à première vue colle le seull événement organique par lequel l 'homme se rapproche de  l'animal,  jusqu' à s'identifier avec lui, ou  à peu près. La maternité est généralement considérée comme le seul rapport entre deux êtres qui soit transmis phvsiquement du singe à l' homnme, c'est-à-dire comme un rapport susceptible d'une définition biologique et n'ayant rien de culturel. Une telle manière de voir est
cependant inexacte. La maternité humaine est un rapport dans la détermination duquel des facteurs culturels jouent un rôle très important »(2). Cette présentation ne serait guère adéquate si la juxtaposition de deux dimensions - naturelle et culturelle - conduisait à superposer la deuxième à la première. L'accouchement n'est pas un événement naturel invariable sur lequel viennent se plaquer des traits culturels divers. Le fait physiologique appartient tout aussi bien à l'institution sociale dont l'accouchement fait partie. La conception naturaliste de l'accouchement qui se présente comme un argument de solide bon sens s'avère elle-même historiquement située.

LE TERME « ÉVÉNEMENT»

      Malgré la variété des modes d'organisation de la naissance, le terme d' «événement» désigne dans tous les cas une espèce particulière de faits intervenant dans le cours du temps et des vies humaines. Et, en laissant provisoirement de côté la question de son importance, le caractère d'événement peut désigner le statut d'un fait dont l'ambivalence nous paraît à la fois un trait universel et un outil d'analyse. On est à certains égards tenté d'écrire que c'est un schème universel bien que très inégalement constitué selon les sociétés et souvent si peu qu'il apparaît surtout une distinction analytique qui sert à comparer les formes sociales les plus diverses. On peut en effet dire que tout événement a une double dimension: d'un côté, il est par définition une rupture de la continuité des choses ou des routines et donc souvent menaçant ; par ailleurs, il est une partie de cette continuité constituée par la répétition d'événements. L'accouchement se présente dans une dimension immédiate de fait physiologique et dans une dimension sublimée qui en détermine le sens.
     Dans sa dimension immédiate, l'accouchement a été conçu jusqu'à nos jours comme un moment dangereux, mystérieux et de souffrance physique. Dans sa dimension sublimée c'est-à-dire dépassant les limites de l'expérience et du moment, il prend des sens divers relatifs à la reproduction de la vie, à la continuité du lignage, du nom ou encore il est lié à la survie matérielle des parents. A la fois expérience et signification, l'événement s'est profondément modifié en passant de formes diverses sur lesquelles s'est fondé le relativisme culturel à une forme rationalisée et universelle, ou en passe de l'être, dans laquelle l'accouchement est l'affaire de techniques, de spécialistes professionnels et de lieux ad hoc. Le constat est banal. Notre propos est ici d'analyser cette transformation comme une réorganisation de la relation entre l'expérience événementielle et la signification catégorielle.

LA NAISSANCE, LES RISQUES ET LES RITES

      On ne saurait retracer ici les étapes du processus par lequel la naissance est devenue un problème. A n'en pas douter, le rôle de l'État a été capital quand au XVIIe siècle, la population a été considérée comme le principal élément de la richesse nationale. « Il ne faut jamais craindre qu'il n' y ait trop de sujets, trop de citoyens, vu qu'il n'y a ni richesses ni forces que d'hommes », selon la célèbre affirmation de Jean BODIN (La République, livre V, chapitre VII). Les débuts de la science économique se sont largement confondus avec la démographie. Les idées populationnistes n'impliquaient pas seulement le souci de dénombrer les populations mais aussi celui d'agir sur le nombre. La naissance et l'enfance devaient donc être protégées pour accroître la population. Les idées anti-populationnistes ne corrigèrent pas, bien au contraire, puisqu'elles furent notamment justifiées par le souci de mieux protéger des enfants moins nombreux. L'impulsion étatique s'appuyait sur l'action des médecins-accoucheurs qui, certains d'une science incertaine, entreprirent de réformer en profondeur les techniques et l'organisation de l'accouchement à partir du XVII" siècle. Hommes des villes et d'écriture, des médecins consignèrent leur expérience: il y avait beaucoup à faire face à une situation déplorable. Ces sources ont largement informé l' histoire sociale quand celle-ci s'est préoccupée de décrire la vie ordinaire de ce qu'on a appelé la société traditionnelle. Sans doute forcent-elles les traits négatifs, il n'empêche que les découvertes choquèrent alors quelque peu les sentiments contemporains en révélant à la fois l'ampleur de la mortalité infantile et la faible attachement affectif aux enfants.

     Les indices sont en effet convaincants alors qu'on a pu estimer très approximativement la mortalité infantile autour de 25 % jusqu'au XVIIIe siècle et que par ailleurs les témoignages ne manquent pas non plus qui attestent la relative indifférence à la perte d'enfants en bas âge même dans les milieux sociaux les plus élevés. On cite souvent à cet égard la remarque ambiguë de Montaigne: «J'ai perdu deux ou trois enfants en nourrice, non sans regret ni sans fascherie » (Essais, II, 8). Confirmation rétrospective, un premier abaissement de la mortalité infantile à la fin du XVIIIe siècle coïncidait avec un plus grand attachement aux enfants qui amenait un plus grand souci de leur santé. Les mentalités furent donc promptement expliquées par la démographie. Comme l'écrivait l'un d'entre eux: « Les historiens ont tendance à expliquer l'absence d'amour des parents pour les enfants qui était de règle dans la société traditionnelle par l'existence d'une mortalité infantile élevée: On ne pouvait se permettre de trop s'attacher à un petit être que l'on savait menacé de disparaître rapidement »(3). Mais l'explication pouvait aussi bien être inversée comme on ne manqua pas de le faire dans le débat engagé et le même historien croyait pouvoir corriger: « On ne saurait expliquer l'absence traditionnelle d'amour maternel par lu mortalité infantile élevée, puisque c'était précisément celle-là qui était cause de celle-ci »(4). A l'appui de cette inversion, les indices s'accumulent avec la faible attention accordée à l'hygiène des enfants, la surveillance relâchée, la mise en nourrice, sans parler des abandons, expositions et infanticides plus ou moins nets. En fait, c'était engager l'explication dans une fausse alternative et dans le registre du débat insoluble. La relation entre forte mortalité infantile et indifférence à l'enfant relève très précisément d'un mécanisme que Norbert ELIAS a désigné comme une double contrainte. En reprenant les termes de Grégory BATESON mais en dépouillant la notion de tout rapport avec la schizophrénie. cette double contrainte visait à rendre compte de la logique de renforcement entretenue entre les tensions et dangers et l'engagement des affects qui leurs sont associés dans un « mouvement circulaire, et même souvent ascensionnel: un niveau élevé de danger trouve sa contrepartie dans uneforte imprégnation affective du savoir - par conséquent aussi de la pensée relative à ces dangers et de l'action dirigée vers eux, donc uneforte charge imaginative liée aux représentations de ces périls. Celle-ci mène à la reproduction constante du niveau élevé de danger et donc aussi à la reproduction de modes de pensée plus tournés vers l'imaginaire que vers le réel »(5). L'accouchement se présentait-il dans ces termes? A en juger par l'abondance des superstitions accompagnant la naissance, l'événement paraît bien stimuler les modes de pensées irrationnels. Le fait est d'autant plus net qu'il se retrouve partout sous des formes différentes mais équivalentes. Le recours à diverses amulettes comme la pierre d'aigle, la rose de Jéricho, ou à des reliques et cultes de certains sanctuaires et saints, la fréquence des interdits entourant la femme enceinte et l'accouchement varient selon les lieux mais furent assez résistants pour être longuement opposés aux médecins accoucheurs, parfois jusqu'au début du XX" siècle. En même temps, ce luxe de procédés magiques et d'interdits dément toute association entre l'indifférence portée aux nouveaux-nés et une quelconque indifférence attachée à l'accouchement. Celui-ci inquiète au contraire assez pour mobiliser un arsenal propitiatoire.

     L'attitude des hommes et femmes n' étaient évidemment pas commandée par la perception de statistiques mais par celle, plus concrète et immédiate, des dangers. Le risque était particulièrement présent car, si la probabilité de mort dans la première  année était de un pour quatre, elle était accrue pour les nouveaux nés puisqu'un sur sept succombait dès la première semaine. Dans la vie ordinaire, cela signifiait que « dans une paroisse de 800 à J 000 âmes, le glas retentissait presque chaque moispour annoncer le décès d'un nouveau-né »(6). Le risque concernait aussi la mère. Si la mortalité touchait 1 à 3 % des femmes pendant l'accouchement ou dans les semaines suivantes, elle était plus significative si on la rapporte à une moyenne de 4 à 5 enfants par femme. La gravité doit être encore appréciée au regard de la place de la femme dans une famille qui était l'unité économique d'une société rurale. Le décès d'une primipare entraînait encore souvent la restitution de la dot. Le tableau risque d'apparaître excessivement noir. Il est vrai que les sources tendent à insister sur les situations extrêmes alors que les pouvoirs publics, les moralistes et les médecins visaient à réformer. Malgré la facilité de certaines naissances, soulignée par des médecins, l'accouchement se présentait comme un moment critique.

      Cette situation doit-elle être généralisée à l'ensemble des sociétés anciennes ? De certains médecins du XIxe siècle jusqu'aux anthropologues, l'accouchement a au contraire été jugé assez simple pour suggérer l'impression d'un ordre naturel harmonieux et... perdu. Tel médecin américain prenait l'exemple des tribus indiennes pour ironiser sur les difficultés de l'accouchement « civilisé» et critiquer la position couchée imposée par les médecins. « Chez les peuples primitifs dont le genre de vie favorise le développement de la constitution physique de l'individu, on peut considérer le travail comme facile, de peu de durée, suivi quelquefois d'accidents et accompagné de peu ou pas de prostration. Cet événement qui cause une appréhension si grande à nos femmes civilisées, n'est pour les sauvages l'objet d'aucune préoccupation ainsi qu'on peut en juger d'après les relations d'accouchements rapides et inattendus qu'ont faites ceux qui étaient en contact avec les indiens »(7). De même, Claude LÉVI-STRAUSS abordait l'étude d'un chant dont l'objet était d'aider à un accouchement difficile non sans prévenir qu'il « est d'un emploi relativement exceptionnel, puisque les femmes indigènes de l'Amérique centrale et du sud accouchent plus aisément que celles des sociétés occidentales. L'intervention du chaman est donc rare et elle se produit en cas d'échec, à la demande de la sage-femme »(8). Cependant, une telle vision de « l'accouchement facile » n'est pas non plus généralisable aux sociétés primitives. Dans bien des cas, on retrouve des traits assez proches de la société d'Ancien Régime. Ainsi dans la société Samoan, Margaret MEAD témoignait: « Toutes les fillettes que j'ai connues avaient vu naître et mourir. Elles avaient vu plus d'un cadavre. Elles avaient assisté cl des fausses-couches et entrevu lefœtus avorté lavé par les vieillesfemmes. Il n'est pas dans les usages d'écarter les enfants de la maison dans de telles occasions ... La moitié environ de cesfilles avaient vu unfœtus arraché au cadavre ouvert d' une femme dans la tombe non encore recouverte ... Cette opération est pratiquée dans lafosse ouverte, sous l'aveuglant soleil de midi, devant une foule excitée de peur, horrifiée et fascinée cl la fois. Initiation combien brutale et troublante aux mystères de la vie et de la mort, et qui ne semble pas, cependant, avoir des effets nuisibles sur l'affectivité des enfants »(9).

     Tout en acceptant la diversité des situations, il nous paraît cependant que l'accouchement suscitait toujours des attitudes particulières à un moment critique. L'existence générale de rituels et d'interdits dément la vision d'une harmonie naturelle. Même si l'accouchement fut plus facile dans certaines sociétés que dans d'autres, il n'en constituait pas moins une rupture de la routine et un événement mal maîtrisé. La soumission à la nature dépassait en effet le seul danger mais se révélait aussi dans la douleur et le mystère de la conception. Ainsi, dans des sociétés où la naissance ne paraît pas baignée dans une atmosphère de danger, l'éloignement de la mère répondait aux convenances ou à la crainte des moqueries face aux manifestations de la douleur de la parturiente. La résignation fataliste à la perte d'un nouveau-né était une réponse à la perception des risques. Il convient de marquer quelque réserve à l'égard de l'affirmation abrupte de l'indifférence à l'enfant et à son sort dans la société d'Ancien Régime. L'obsession du baptême des nouveaux-nés nuance si on considère qu'il consolait de la disparition et donc que la perte d'un enfant appelait cette consolation.
     Ainsi dans l'Anjou du XVIIIe siècle: « La mort d'un petit enfant. cl condition qu'il ait reçu le baptême ... est considérée, sur le plan religieux comme une délivrance, puisque l'enfant a la grâce d'accéder d'emblée au paradis sans connaître les amertumes de la vie et risquer son salut; sur le plan humain, elle est ressentie comme un accident presque banal qu'une naissance ultérieure viendra réparer »(10). La réduction préventive de la sensibilité émotive constituait donc une solution pour assumer les craintes et affronter les risques. L'accouchement était encore immergé dans un complexe rituel qui relativisait son importance et en diminuait ainsi en partie l'appréhension. En somme, la naissance s'étendait à une séquence plus large dont l'accouchement constituait un moment parmi d'autres. Ce sont sans doute les rites d'initiation ou de passage qui opèrent le plus nettement une sorte de disjonction en instituant une deuxième naissance, celle-là maîtrisée, qui répète la naissance physiologique. Comme l'a relevé Claude LÉVI-STRAUSS, ces rites marquent une invariabilité particulièrement significative: Tout ethnologue ne peutmanquerd'êtrefrappé par la manière commune dont, cl travers le monde, les sociétés les plus d!flérentes conceptualisent les rites d'initiation. Que ce soit en Afrique, en Amérique, en Australie, ou en Mélanésie, ces rites reproduisent le même schème: on commence par « tuer» symboliquement les novices enlevés cl leursfamilles et on les  tient cachés dans Ia forêt ou dans la brousse oÙ ils subissent les épreuves de l'au-delà; après quoi, ils « renaissent» comme membres de la société. Quand on les rend à leurs parents naturels, ceux-ci simulent donc toutes les phases d'un nouvel accouchement, et ils procèdent à une rééducation qui porte même sur les gestes élémentaires de l' alimentation ou de l' l'habillement »( Il).

     Des pratiques et des croyances se perpétucnt au nom de la tradition. Mais plutôt qu'une véritable explication, celle-ci offrait surtout la garantie de l'ancienneté. En la matière, celle-ci avait ses titres pour des femmes qui s' y fiaient. Pour elles, les choses se s'étaient pas toujours faites ainsi et, eussent-elles possédé la connaissance d'autres façons de faire, l'ancienneté attestait l'efficacité: ce qui avait fait ses preuves avec elles, leur famille, leur communauté devait continuer à réussir. L'existence de positions d'accouchements différentes selon les régions comme l'attachement maintenu contre des médecins s'efforçant d' imposcr la station couchée en dit long sur les raisons de tenir à ce qui devait ultérieurement apparaître sous l'aspect technique.

Les interdits, les rituels rattachaient ainsi l' accouchement à des significations dépassant l'événement proprement dit, c'est-à-dire relevant de l'ordre naturel, social ou surnaturel. Loin d'être une sorte d'environnement à la naissance, ils organisaient ses modalités pratiques mais surtout constituaient cette forme de réponse à l'incertitude de l' accouchement qui, plutôt que d'être orientée vers sa maîtrise, compensait cette absence de maîtrise pratique par la maîtrise d'un sens de l'événement.

L'ÉCONOMIE PSYCHIQUE DE LA NAISSANCE AU TEMPS DE LA MATERNITÉ 

     L'intervention rationalisatrice des pouvoirs publics, des médecins et des sages-femmes ne pouvait s'imposer rapidement alors que cette intervention était doublement extérieure, socialement par l' origine de ses agents et culturellement alors qu'elle contredisait une économie psychique de la naissance bien établie. L'appel au médecin-accoucheur a d'abord concerné les cas les plus graves et fut donc ponctuel avant de devenir la règle. Certaines situations contemporaines s'en relèvent très proches. Dans certaines populations africaines, « le recours aux maternités de la région demeure encore l'exception. Dans un village, on m'a même expliqué que le recours à la maternité s'était avéré nécessaire il y a quelques années, pendant une période où les femmes accouchaient difficilement à domicile. Les choses s'étant arrangées depuis, les femmes enceintes ont repris l'ancienne coutume »( 12). Pour que l'intervention médicale ne soit pas seulement ponctuelle, il a donc fallu que l'accouchement fût ordinairement perçu comme nécessitant cette intervention et non plus les difficultés graves surgissant en son cours. Cette généralisation de l'intervention médicale est souvent expliquée par le mouvement naturel des progrès scientifiques et donc de l'efficacité médicale. On reconnaît alors des «résistances» tout en s'étonnant de leur force. Le processus qui permet de sortir du cercle vicieux de la double contrainte ne peut cependant s'analyser comme un mouvement naturel de rationalisation par lequel des méthodes efficaces remplaceraient inéluctablement des méthodes anciennes et inefficaces. Ce serait mal apprécier les raisons de la confiance dans la tradition.
     Si les principes n'en étaient pas explicités, celle-ci n'est pas forcément inefficace comme le remarquait Claude LÉVI-STRAUSS devant l'exemple de cure chamanique évoqué plus haut: l' incantation du chaman« guérit ». D'autre part, l' effïcacité et la croyance en elle sont deux choses distinctes. La logique de croyance en l'efficacité s'appuyait non sur une comptabilité des résultats mais sur leur imputation. Or, en la matière, les procédés traditionnels bénéficient de cette grande force d'être appréciés en fonction de leurs réussites supposées et non de ce qui serait des échecs. On ne comprendrait pas la persistance sur plusieurs siècles, voire plus, de rituels ct de cultes concernant la naissance, la fertilité etc ... si on ne relevait pas que les réussites étaient portées à leur crédit et que les échecs étaient expliqués par des raisons extérieures ou encore par la non-exécution correcte des rituels. En somme, ceux-ci étaient à l'abri de l'épreuve sauf pour être confortés par les faits qu'on pouvait leur attribuer. Ce fut donc forcément un processus long que la transformation de l'économie psychique de la naissance. La modification de la sensibilité à l'égard des nouveaux-nés contribuait au recours ordinairc à ]' accouchement médicalisé comme une manière de prendre ses précautions, mais l'attachement affectif se nourrissait lui-même de la limitation des risques telle que la traduisait une baisse de la mortalité infantile.

     Depuis le XVIII" siècle, l'impressionnant reflux de la mortalité périnatale suggère l'ampleur du changement des perceptions de l'accouchement: événement à haut risque, celui-ci est devenu résiduel. Les craintes ne sont cependant pas totalement éliminées à la fois du fait du caractère d'événement singulier que garde l'accouchement (et notamment dans le cas de primiparité) et de la médicalisation, c'est-à-dire d'une des raisons qui expliquent le reflux de la mortalité. De manière relativement décalée, le progrès de la sécurité a été suivi et s'est accompagné de la maîtrise de la douleur. Les techniques analgésiques et anesthésiques ont renforcé considérablement la modification des perceptions. Pour en apprécier l'impact, il suffit de se remémorer les réticences ou les enthousiasmes soulevés par des moyens dont certains jugèrent qu'ils transgressaient la condition éternelle de l'enfantement dans la douleur ou qu'au contraire, ils inauguraient l'affranchissement à l'égard des vieilles conditions historiques élevées au rang d'une volonté divine par le fatalisme obscurantiste de la religion.
     Ces changements ont largement brisé le cercle vicieux de la double contrainte. D'un premier point de vuc, c'est ce qui a permis l'abandon des «superstitions », des traditions au profit d'une  vision rationalisée de la naissance appuyée sur une familiarité du public avec ses images et sur la préparation méthodique des mères à l'accouchement. La modification a aussi touché les affects en libérant l'investissement sentimental sur les nouveau-nés. A l'association entre, d'un côté le détachement affectif et, de l'autre, le risque et la douleur, a succédé l'attachement affectif permis par la sécurité et la réduction de la douleur. Ce n'est pas seulement la place de ce que certains ont appelé l'enfant-roi mais toute la conception de l'enfant qui en a été modifiée puisque celui-ci s'est vu doter d'une humanité et d'une individualité jusqu'alors douteuse et assez prononcée pour qu'elle ne soit pas seulement celle du nouveau-né mais déjà celle de l'enfant à naître. Des techniques de diagnostic comme l'échographie ne sont à cet égard pas neutres en donnant à voir un être futur comme un être déjà là. Cette évolution participe au développement de la famille moderne en une unité affective de vie sociale et d'intimité(13). En même temps, la place de l'enfance amoindrit les visions sociales sublimées de la naissance ou plutôt en recompose le contenu. Ainsi, la fonction sociale relative au lignage, à la continuité du patronyme ou du patrimoine, sinon à la survie des parents tend à laisser place à une vision d'un bonheur familial centré sur l'enfant. Sans qu'on puisse réduire ces transformations aux seuls changements affectant la naissance, on voit combien ceux-ci participent étroitement au processus de genèse de la famille moderne et d'individualisation. Et si on veut raisonner en termes de causalité, on dira que ces changements concernant la naissance en sont à la fois une cause et un effet.

     Le déplacement de la signification qui amène la naissance à être plus perçue sur le mode de l'événement privé et moins comme celui affectant une communauté large de reproduction modifiait l'organisation des différents temps de la naissance. Autrement dit, la naissance tendait à se confondre avec l'accouchement, c'est-à-dire avec le moment proprement physiologique de la naissance. En même temps, la gestation prend plus d'importance par rapport aux rites de passage réglant l'intégration des enfants à la communauté des hommes, soit la partie ante, plus strictement privée au détriment de la partie post-natale, plus immergée dans la vie sociale. Ce resserrement de la définition de la naissance sur l'accouchement proprement dit se traduit par exemple dans la moindre importance accordée au baptême, qui n'est donc pas ou pas seulement le résultat de la déchristianisation, mais un effet de sécularisation dépendant de l' affaiblissement de la double contrainte et de la localisation de la naissance dans la sphère intime de la famille. De multiples indices en témoignent en même temps qu'ils ont des effets sur cette transformation comme la multiplication et la vulgarisation des images de la vie in utéro ou du moment précis de l'accouchement. A propos des sociétés primitives, Claude LÉVI-STRAUSS corrigeait l'interprétation d'une pensée « toute entière engluée dans la praxis » : « ce serait voir les choses à l'envers, puisque c'est au contraire, la praxis scientifique qui chez. nous, a vidé les notions de mort et de naissance de tout ce qui, en elles,  ne correspondait pas à de simples processus physiologiques, les rendant impropres à véhiculer d'autres signifïcations. Dans les sociétés à rites d'initiation, la naissance et la mort offrent une matière d'une conceptualisation riche et variée ... »( 14). Claude LÉVISTRAUSS situait bien la différence des conceptions mais, tout à son entreprise de réévaluation de la pensée sauvage, il se condamnait à caricaturer une conception de la naissance moderne livrée à la raison instrumentale. Tout en étant modelée par la rationalisation, la définition sociale de la naissance n'était pas absorbée par elle. La modification de son économie psychique par laquelle la naissance se confondait plus avec l'accouchement ne réduisait pas la naissance à une dimension physiologique et pratique mais accompagnait l'investissement affectif sur le nouveau-né. En ce sens, la nouvelle place prise par l'accouchement dépend directement de l'accès de j'enfant au rang de personne. Les conditions étaient ainsi posées d'un accroissement des attentes à l'égard des spécialistes ou des pouvoirs publics.

     On trouvera un indice de ce que la conception de la naissance ne se réduit à une définition physiologique dans les définitions apparemment contradictoi res qui autorisent l' investissement affectif sur l'enfant né ou à naître et d'autre part l'avortement. On peut juger contradictoire que dans la même société, cet investissement affectif sur le nouveau-né et, conforté par des techniques, sur les enfants à naître coexiste avec le relatif détachement affectif qui accompagne l'avortement. C'est bien la vision d'ailleurs soutenue par les adversaires de celui-ci quand ils situent le début de la vie à la conception. Il nous semble qu'au contraire, cela est significatif du fait que c'est l'investissement affectif qui sert d'arbitre à la définition de la vie.

ORDRE SOCIAL ET MÉDICAL DE LA MATERNITÉ

     Peut-on en rester là, c'est-à-dire à la restitution du mouvement d'ensemble auquel participe la définition sociale de la naissance? On voit bien en effet que la compatibilité est problématique entre la sécurité croissante produite partiellement par la médicalisation et en même temps l'accaparement de la naissance par la sphère privée de la famille conjugale. En somme, la sécurité permet cet accaparement qui, par là même, ôte provisoirement le moment de la naissance à la sphère strictement privée. Le « prix» de la sécurité ne paraît pas habituellement si excessif qu'il conduirait à remettre en cause les procédures instituées de l'accouchement. Effet d'une conquête toute neuve alors que le souvenir d'un temps de la naissance à risque resterait vivace dans les consciences ? Effet de l'organisation matérielle et des normes légales de la naissance qui conditionnent l'accès aux soins et leur financement? La tension peut paraître réduite et l'imposition d'un ordre social de la naissance bien établi quoiqu'il ait été lentement et difficilement amené par un combat médical pluriséculaire. Le même terme de « maternité» pour désigner l'accès à l' état de mère et le lieu spécialisé d' accouchement paraîtra significatif. La tension existe bien dans les faits et pas seulement en logique. A un premier égard, on pourrait dire qu'elle n'est pas réglée et se traduit dans les oppositions sur des conceptions de l'accouchement. 
     Le débat confronte moins des spécialistes et des gens ordinaires attachés à leurs traditions que des spécialistes entre eux sur l'accouchement à domicile ou le degré de médicalisation. Du moins s'exprime-t-il publiquement comme un débat de spécialistes avec des intensités variables selon l' ampleur des clivages qui divisent un milieu professionnel et non sans dépendre de clivages extérieurs. La tension est encore réglée par des transactions dont certains indices sont la traduction en même temps qu'ils sont le résultat relativement consolidé de transactions antérieures. Ainsi, le dialogue institué entre spécialistes et parents procède-t-il de longs et parfois vifs débats sur l'accouchement en même temps qu'il est un ajustement modulé selon les interlocuteurs et notamment selon l'origine sociale des parents. Le choix même de la maternité constitue souvent une étape d'une transaction informelle par laquelle les parents choisissent les spécialistes qui leurs paraissent, sur la foi de la réputation ou de l'expérience, les plus aptes à satisfaire leurs attentes.
      A cet égard, les mécanismes de marché, là où les conditions de concurrence sont remplies, permettent une sorte d'ajustement préalable réduisant les risques d'échec de la transaction. La reconstitution d'une sociabilité sur la base de la communauté de situation des femmes enceintes au sein des maternités lors des préparations à l'accouchement, évite le face-à-face entre spécialistes et femmes dans une relation collective qui n'est pas sans rappeler les accouchements de la société rurale traditionnelle. En outre, la présence du père lors de l'accouchement ou des préparations modère la dépossession fonctionnelle de la médicalisation en une concession à la définition familiale et privée de la naissance. Ce qu'on peut considérer comme des assouplissements à la médicalisation de l'accouchement n'implique pas que la tension soit définitivement résolue. Le propre d'une telle tension est de ne l'être jamais comme en témoigne la nostalgie d'un accouchement harmonieux et intime que d'aucuns diraient tout à fait improprement « naturel ». Aux moments les plus forts de l'action en faveur de la médicalisation, les médecins les plus intensément engagés n'avaient pu eux-mêmes s'empêcher de s'en faire l'écho.
     Dans une période où la médicalisation de la naissance semble une chose acquise, les tensions connaissent un autre mode de résolution. Les débats et les transactions ont largement remplacé les traditions et les rituels. En même temps, ces modes de résolution se sont en quelque sorte modelés sur les modes généraux de règlements des tensions sociales que l'on peut dire idéologisés et politisés si l'on considère à la fois les formes prises par les modes de résolutions des tensions par la confrontation de visions concurrentes et les relations que ces visions de l'accouchement entretiennent avec des visions du monde.

Bibliographie:

1. Mead M. Mœurs et sexualité en Océanie. Paris, Plon. 1963, p. 310.
2. Malinowski B. La sexualité et sa répression dans les sociétés primitives. Paris, Payot, 1976; p. 173.
3. Shorter E. La naissance de la famille moderne. Paris. Seuil 1975; p. 252. Fayard
4. Ibidem.
5. Elias N. Engagement et distanciation. Paris, 1993; p.74.
6. Gélis J. L'arbre et le fruit. Paris, Favart 1984 ; p. 387.
7. Engelmann G. La pratique des accouchements chez les peuples primitifs. Étude d'ethnographie et d'obstétrique. Paris, Ba illère, 1886, p. 24.
8. Lévi-Strauss. Anthropologie structurale. Paris, Plon, 1974, p. 205-206.
9. Mead M. Op. cité, p. 388-389.
10. Lebrun F. Les hommes et la mort en Anjou au XVIIe et XVIIIe siècles. Essai de démographie et de psychologic historiques. Paris, Mouton, 1971, p. 423. 11. Lévi-Strauss. La pensée sauvage. Paris, Ploll /962, p.350.
12. Eschlimann J.P. Naître sur la terre africaine. Abidjan, 1nades ed., 1982, p. 65.
13. Ariès P. L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime. Paris, Plon, 1960.
14. Lévi-Strauss. La pensée sauvage. Op cité p. 350.
















14/07/2009
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Peut-on encore accoucher par voie basse, Pr Dallay

Ce texte date de 1994 - qu'en est-il aujourd'hui en 2009

PEUT-ON ENCORE ACCOUCHER PAR VOIE BASSE?
Pr Dominique DALLAY
chef de service du serrvice gynécologie obstétriqueC
 CHU Pellegrin Bordeaux

     En écoutant le professeur GARRIGOU, je me disais: et si finalement la césarienne n'était pas un rite initiatique? Je me demandais si le prix des enfants, l'investissement affectif actuel que l'on donne à cette naissance, à cet acte technique, n'expliquait pas la fréquence des césariennes.
     C'est vrai que pour nous, obstétriciens, c'est un réel problème de voir qu'actuellement, pratiquement une femme sur quatre va accoucher par césarienne.
     Tous mes collègues réfléchissent à ce problème. Vous le savez, la césarienne a tout de même son lot de complications maternelles, et elle n'apporte pas toujours non plus un mieuxêtre foetal. Donc, nous avons je crois, vous et nous, à faire une véritable réflexion sur l'épidémiologie actuelle des césariennes. Nous devons voir ensemble comment on pourrait limiter la fréquence de cet acte.

FRÉQUENCE DES CÉSARIENNES

     La fréquence des césariennes augmente d'année en année. Entre les années 1945 à 1950, 2 à 4 % de césariennes. Puis, de 1960 à 1970 au delà de 6 % et, maintenant, on est allègrement aux alentours de 20 %.
     La fréquence des césariennes en France, dans les années 1990 était à 16 %. Actuellement dans mon service, on est à 20 %.
     C'est comparable à ce que vous voyez dans les services parisiens de l'Assistance Publique.
     Donc, actuellement, en France, on fait entre 10 et 20 % de césariennes suiv~mt les équipes.
     Le problèmp est de savoir si on est en fait trop et quelles sont les indications? Comment peut-on essayer de réduire leur fréquence ?

LA PREMIÈRE CÉSARIENNE

     II y a d' abord les indications de la première césarienne et je les ai séparées en indication avant le travail et en indication pendant le travail.

     Si on regarde les chiffres globalement (que ce soit dans notre service ou dans un excellent travail qui a été fait par l'équipe de Monsieur BARRAT et publié en 1990), on voit en fait, que les dystocies graves sont les mêmes. Cela représente à peu près 3 % des indications de césariennes.
     On peut penser aussi qu'il y a une augmentation des grossesses pathologiques et des pathologies maternelles. En fait, les deux s'équilibrent pour une raison simple: c'est qu'il y a de moins en moins de grandes diabétiques et de moins en moins d'état éclamptique. On a diminué les grandes catastrophes obstétricales et finalement quand on regarde les chiffres, ce n'est pas là qu'il faut rechercher l'explication de l'inflation des césariennes.

CÉSARIENNES PENDANT LE TRAVAIL

     Alors en fait, le problème est que l'inflation des césariennes vient de l'augmentation massive des césariennes au cours du travail, liée au dépistage et au diagnostic de la souffrance foetale.
     C'est vrai que l'on écoutait, autrefois, les bruits du cœur du foetus, quand on n'avait pas de monitoring, en utilisant le stéthoscope de Pinard. Il fallait que la malade ne crie pas trop. Donc, on n'écoutait pas le rythme cardiaque foetal au moment où les femmes avaient des contractions. Par conséquent, on passait à côté des souffrances foetales aiguës. On ne faisait donc pas de césarienne, ou peu, pour cette indication.
     C'est manifestement le monitorage avec son interprétation difficile et les examens complémentaires qui nous aident de temps en temps pendant le travail. Mais tout ceci ne nous a pas permis de régler le problème du diagnostic exact de la souffrance foetale aiguë. En effet, parfois nous voyons naître des enfants par césarienne avec des monitoring épouvantables alors qu'en fait, ils naissent toniques et en bonne santé. Il y a donc un vrai problème, une difficulté pour essayer d'analyser parfaitement cette souffrance foetale aiguë pendant le travail.
     Il y a aussi une augmentation (il faut multiplier par trois) des anomalies de dilatation associées à des souffrances fœtales aiguës au cours du travail. Ces indications, amenant souvent à la première césarienne, sont de plus en plus courantes malgré les progrès de l'obstétrique, malgré l'analgésie, malgré l'utilisation des ocytocytes. l'ai envie de dire, peut-être aussi à cause de tout cela. C' est peut-être pour cette raison avec en plus, les accouchements programmés, que l' on a de nombreuses anomalies de dilatation associées à des souffrances foetales.

CÉSARIENNES ITÉRATIVES

     Ensuite il y a les indications des césariennes itératives. Je les ai séparées en césariennes itératives avant le début du travail et pendant le travail. Avant le début du travail, il y a des césariennes itératives qui sont en nombre constant. En effet, une femme qui a un bassin chirurgical aura à nouveau une césarienne. Si elle a une malformation utérine, elle aura à nouveau une césarienne et cela, avec le temps, ne change pas.

     Par contre, on fait de plus en plus de césariennes pour facteur associé. On fera, par exemple, une césarienne itérative parce que les conditions obstétricales seront mauvaises, parce que la femme l'aura demandé, parce que le chirurgien est pressé, etc ... Ces facteurs s'associent souvent. En revoyant les observations, on trouve un ensemble d'éléments qui ont poussé à faire la césarienne sans qu'il y ait un élément absolument nécessaire et déterminant.

     En ce qui concerne les césariennes pendant le travail dans les césariennes itératives, nous remarquons une augmentation pour anomalies de dilatation et ce, malgré l'utilisation de la péridurale dans les épreuves du travail, malgré la pression interne et la bonne gestion de la dynamique. Ceci peut être lié au fait que l'on augmente maintenant les épreuves du travail sur utérus cicatriciel en acceptant des femmes qui ont finalement un statut obstétrical qui n'est pas très favorable.

     Dans les indications pour souffrance foetale aiguë au cours du travail, que ce soit dans la recherche que l'on a fait dans notre hôpital ou à Paris, les chiffres sont relativement constants.

     Si on fait une synthèse des indications actuelles, les dystocies graves sont constantes, au niveau de l'ensemble souffrance foetale chronique et retard de croissance. Mais les trois facteurs qui jouent un rôle essentiel sont : les césariennes pour souffrance foetale aiguë au cours du travail, les césariennes pour stagnation de la dilatation, avec plus ou moins des anomalies du rythme cardiaque foetal et, c'est l'effet boule de neige, plus on fait de césariennes, plus on sera amené a faire à nouveau des césariennes. Il faut donc essayer d'avoir une incidence sur ces trois facteurs pour diminuer, la fréquence des césariennes. Voilà, en effet, la réflexion que l'on pourrait avoir.

COMMENT RÉDUIRE LA FRÉQUENCE DES CÉSARIENNES POUR SOUFFRANCE FŒTALE AIGUË?

     C'est un problème très difficile. Vous connaissez. comme moi, les monitorages. Vous savez que si on décrit parfaitement les DIP l, les DIP 2, les bradycardies régulières, quelquefois, on a beaucoup de difficultés à prendre la décision de faire une césarienne ou d'attendre encore un peu avec une souffrance foetale aiguë. Le PH peut nous aider. Mais. malheureusement, cela n'apporte pas toujours une bonne indication.

     Il faut certainement,je crois, continuer à faire des césariennes car les statistiques de nos collègues pédiatres disent que de moins en moins d'enfants ont souffert énormément pendant le travail. Alors que, si vous vous souvenez, il y a 15- 20 ans, on avait de temps en temps des enfants qui naissaient en état de mort apparente. Ce qui est aujourd'hui exceptionnel.

     Il faut, je crois, ne pas trop transiger sur cette souffrance foetale aiguë. 11 faut certainement prendre le risque de faire trop de césariennes pour en faire suffisamment. dans ce cas-là.

PEUT -ON ÉVITER LES ANOMALIES DE DILATATION?

     C'est un vrai problème pour les accouchements programmés. Lorsque l'on choisit de déclencher une patiente 15 jours ou 3 semaines avant et quand cela se termine par une anomalie de dilatation avec une épreuve du travail (dont la puissance est masquée par l'utilisation de la péridurale qui crée, bien sûr, une analgésie), c'est finalement le rythme cardiaque foetal qui peut s'altérer. C'est pour cela que les anomalies du rythme cardiaque foetal sont souvent associées aux anomalies de dilatation. Je crois qu'il faut donc bien cerner cette indication et bien être conscient que. dans ce domaine, on n'a pas le droit à l'erreur. Il s'agit aussi de la vie de l'enfant.

PEUT-ON AUGMENTER LES ÉPREUVES DU TRAVAIL SUR UTÉRUS CICATRICIEL?

     On essaie de le faire. Vous savez que certains auteurs ont publié des observations sur utérus bi-cicatriciel où on ne refuse pas absolument l'épreuve du travail. Je vous rappelle que, lorsque l'on fait une épreuve du travail, il y a entre 2 et 5 % de rupture utérine entraînant 5 et 10 % de mort foetale. Récemment, j'ai eu un accident de service avec rupture utérine, en fin de dilatation, malheureusement avec la mort de l'enfant. Il est certain que, dans ces conditions, pendant quelque temps, on diminuera les épreuves du travail sur utérus cicatriciel. Donc, là aussi, il est très difficile même avec l'expérience, de cerner les bons cas et de faire systématiquement des épreuves du travail sur utérus cicatriciel.

PEUT-ON ENCORE ACCOUCHER PAR VOIE BASSE ?

     Est-ce que l'on va faire 10, 15,20,25 % de césariennes surtout dans l'environnement médico-légal qui nous guette? Il y a beaucoup d'avocats. Ils n'ont pas tous du travail. Les médecins constituent une proie facile, surtout que l'évolution juridique change un peu. On commence à avoir des contrats entre plaignant et avocat (à l'américaine) où l'on peut engager une procédure et partager les bénéfices. Cela commence à se voir.

     Alors, évidemment, beaucoup de médecins préfèrent jouer la sécurité et ne pas se lancer dans des accouchements un peu difficiles. C'est ce que j'ai appelé la « dystocie médico-légale» que l'on retrouve dans des séries américaines.Les femmes noires qui ne sont pas cultivées ont 16 % de risques d'avoir une césarienne. Les femmes noires qui sont diplômées et, par conséquent, qui ont davantage de moyens de se défendre sont césarisées dans 18,6 % des cas, les femmes blanches sont césarisées dans 23,6 % des cas (les femmes blanches diplômées dans 25 % des cas). L'explication des auteurs est de dire que : plus les femmes montent dans le statut social, mieux elles sont assurées et, par conséquent, plus c'est intéressant pour le chirurgien de faire une césarienne plutôt qu'un accouchement par voie basse.

     Une autre explication est de dire qu'évidemment, plus les femmes sont diplômées et bien installées dans la vie et plus elles peuvent se défendre et avoir recours à un avocat. Donc on prend de moins en moins de risques.

     Je ne dis pas que c'est l'avenir en France, c'est tout de même une rétlexion que l'on peut avoir.

      Pour essayer d'établir le dialogue avec vous, il y a une chose à laquelle je crois vraiment, c'est qu'il faut préparer les femmes à l'accouchement. II faut que, pendant les neuf mois de la grossesse, il y ait un climat de confiance qui se crée. Le meilleur moyen pour créer ce climat, c'est en fait de parler. La préparation à l'accouchement établit le dialogue. C'est un bon moyen pour aider les femmes dans la décision obstétricale, en particulier vis à vis de l'accouchement par le siège. Combien vont venir vous voir en disant:« Je préfère une césarienne ». Quand les conditions sont bonnes, pourquoi faire une césarienne ? II faut expliquer. La préparation à l'accouchement, là, rend un très, très grand service.

QUELQUES RÉFLEXIONS POUR ENVISAGER LE FUTUR

Il y a l'évolution de la pratique médicale, l'évolution des femmes et celle de la société.

Dans l'évolution des pratiques médicales, il y a malheureusement de plus en plus de prématurité induite. En France, il y a 5 % d'accouchements prématurés. 1 à 1,5 % des accouchements prématurés sont liés à ]' action médicale - que ce soit pour porter secours à un enfant diabétique ou à un enfant hypotrophe -, mais aussi pour des raisons de convenances personnelles et autres raisons. Il faut rétléchir tout de même à ce problème de la prématurité induite. On n'a pas le droit à l' erreur. Il faut donc s'engager, réexaminer souvent les patientes avant le terme, et choisir celles qui pourront accoucher sans difficulté, et manager les autres dans les cas défavorables.

     Il y a aussi la place du médecin dans l'accouchement. Le professeur GARRIGOU vous disait que le moment de la naissance est un moment qui appartenait aux femmes. Il est vrai que les hommes se sont immiscés dans l'obstétrique à travers les complications. C'est quelque chose qui est relativement récent. Je vous rappelle qu'au XVIIe siècle, un chirurgien a été pendu, ou enfin au moins assassiné, parce qu'il était entré « en douce» dans une salle d'accouchement pour aider une matrone. On l'a reconnu. Il s'était déguisé en femme. La présence des hommes à l'accouchement était complètement interdite. Vous pouvez retrouver cela dans les livres d'histoire et vous verrez aussi que MORISSOT avait créé une espèce de tablier qu'il mettait sur les jambes des femmes. Cela lui permettait de faire des manipulations sans voir les femmes, sans voir les organes génitaux. C'était le seul moyen de pouvoir faire de l'obstétrique.

II est vrai que, maintenant, les médecins se sont substitués aux sages-femmes. Or, la formation des médecins - et surtout aujourd'hui avec l'obligation de l'internat - est une formation de chirurgien. Il y a là beaucoup à redouter. Car il est plus facile d'apprendre à un interne à faire une césarienne en 1/2 heure que de lui donner toutes les subtilités et le recul nécessaires pour, par exemple, mettre correctement en place un forceps. Donc la formation des médecins est très importante. Nous devons, nous, universitaires, en tenir compte.

     Et puis, il y a l'évolution des femmes, qui s'est faite sur des millénaires. Si vous comparez le bassin de Lucy - vous savez cette petite australopithèque qui est née il y a quelques millions d'années - à celui des françaises aujourd'hui, son bassin était un tout petit peu plus large. Il y a globalement une diminution des voies génitales et une augmentation du volume cérébral. Quand vous comparez un chimpanzé à un petit d'homme vous voyez quand même qu'il y a une différence et cette homogénéisation continue. Il y a donc une dystocie programmable avec le temps entre l'augmentation de la tête foetale et la diminution des voies génitales. Au fil des millénaires, il est probable que la gestation ait diminué dans le temps. Ceci va avec une augmentation de la dépendance des nouveau-nés et des enfants envers la mère. Vous voyez que l 'homme est très particulier et que, maintenant, compte tenu des problèmes financiers, les enfants restent « accrochés» à leurs parents jusqu'à 25 ans ou 30 ans, voire même définitivement. Si vous comparez cela avec le petit poulain qui va naître dans la prairie, vous verrez que le poulain au bout de 48 heures est capable de courir et de trotter. Il est pratiquement indépendant. L'évolution à travers le temps se fait ainsi: les bassins se modifient, la tête foetale augmente, la gestation se raccourcit, mai s en contre-partie, le petit d' homme reste très longtemps dépendant de ses parents.

Conclusion

Cette femme, qui était probablement sur la plage à Royan, il y a 50 ans, avait peu de chance d'avoir une césarienne. Par contre, celle-là, que vous allez peut être rencontrer pendant le congrès a malheureusement 20 à 25 % de risques ou de nécessité d'avoir une césarienne!

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14/07/2009
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Pays-bas : LE SUIVI DE LA MATERNITE, Dr Jeannette KLOMP


LE SUIVI DE LA MATERNITÉ AUX PAYS-BAS


Dr Jeannette KLOMP
obstétricienne
ancienne directrice de l'école  de sages-femmes, Amsterdam

     Les Pays-Bas sont une monarchie souveraine depuis 1813 (après avoir été libérés de l'occupation française).
     Avant cela, c'était une république avec une forte autonomie de chacune de ses sept provinces. Ainsi, c'est au cours du XIX" siècle qu'on a instauré une législation dans plusieurs domaines pour unifier le pays.
     En 1865, tous les corps existants de médecins (docteurs, chirurgiens, chirurgiens obstétricaux, ... ) ont été abolis, donnant place à un seul titre de docteur en médecine avec formation dans une des universités hollandaises et qualifiant dans les trois secteurs de médecine : médecine interne, chirurgie et obstétrique.
     Il y avait deux exceptions: l'art dentaire pouvait encore être pratiqué par les prédécesseurs des dentistes et l' obstétrique par les sages-femmes, pourvu qu'elles se limitent aux cas normaux.
     Ainsi en 1865, les sages-femmes étaient légalement considérées comme praticiennes indépendantes, statut qu' elles ont encore.
     Elles étaient, et sont toujours, formées dans trois écoles de sages-femmes, indépendantes des universités et écoles d'infirmières.
     Leur pratique est toujours spécifique aux grossesses et accouchements normaux, y compris maintenant la surveillance post-natale.
     Dans les années 60, on a remis en question le maintien de la position des sages-femmes en tant que praticiennes indépendantes. Pendant quelques années, il y a eu des tentatives sérieuses pour créer des sages-femmes infirmières avec un éventail de pratique plus large mais avec perte d'autonomie. Heureusement, cette idée a été abandonnée en 1970 et depuis, le statut et la position de nos sages-femmes se sont progressivement renforcés.
     Il Y a aujourd'hui environ 1200 sages-femmes praticiennes (sur une population de 15 millions d'habitants). La durée des études de sages-femmes est de quatre ans. Il y a toujours trois écoles de sages-femmes. Cent-vingt étudiantes y sont admises chaque année.
     Plus de 80 % des sages- femmes praticiennes sont établies en cabinet privé. Le nombre de cabinets particuliers est en diminution. Dans la plupart des cabinets, deux à quatre sages-femmes travaillent ensemble. Les sages-femmes sont qualifiées pour donner des soins prénataux complets tant que la grossesse se déroule normalement. Elles accouchent à la maison ou à l' hôpital et s'occupent des mères et de leur bébé au moins dix jours après l'accouchement.
     Les femmes enceintes peuvent aller directement consulter la sage- femme de leur choix; quelques-unes vont d'abord voir leur médecin de famille qui les réfère à une sage-femme.
     Dans le système de santé hollandais, une consultation de spécialiste doit être indiquée par un généraliste. En obstétrique, cela veut dire un généraliste ou une sage-femme.
     La surveillance des grossesses par les généralistes a diminué au cours des ans; moins de 10 % des accouchements sont faits par les généralistes.
     Environ 60 % de toutes les femmes enceintes commencent leur surveillance prénatale avec une sage- femme. Les sagesfemmes sont la clé de la surveillance spécialisée de la maternité et de l'utilisation ou non de la technologie médicale.

C'est le point que je veux souligner aujourd'hui.

     Les examens et techniques ont été destinés et sont encore inventés pour essayer de trouver ce qui ne va pas chez la mère et/ou son enfant, créant ainsi l'impression que personne n'est en bonne santé à moins que ça ne soit affirmé par le médecin après toute une série d'examens. Cela contrarie la propre confiance des femmes. L'autre côté des choses est rarement montré : l'issue incertaine des examens, menant à d'autres tests ou même à des interventions non garanties et le fait que des examens spécifiques peuvent avoir des défauts.
     Beaucoup, certainement, a déjà été accompli en obstétrique, mais on doit encore apprendre l'utilisation correcte de toutes les techniques afin qu'elles soient valables.

     Dans le passé, les sages-femmes ont quelquefois senti que leurs limites légales diminuaient vraiment leur statut aux yeux du public et ont essayé d'accroître leurs qualifications, par exemple par l'utilisation de forceps ou la prescription de médicaments.

     Aujourd'hui les sages-femmes voient leur profession séparée de celle des obstétriciens avec une approche et une philosophie distinctes.

     De leur point de vue, c'est leur devoir d'aider les femmes pendant la grossesse, pour essayer d'augmenter leur confiance et leur propre autonomie de femme.

     Nous allons voir comment est organisé le suivi de la maternité aux Pays-Bas, actuellement.

     30 à 40 % des femmes reçoivent des soins prénataux par un obstétricien ou un médecin généraliste.

     Les médecins généralistes restreignent leur surveillance aux femmes qui ont une grossesse à bas risque, tout comme les sages-femmes. Les femmes ayant un passé obstétrical compliqué ou une pathologie pré-existante sont adressées par le généraliste à l'obstétricien.

     Environ 60 % des femmes vont directement voir une sage-femme ou sont adressées à une sage-femme par le généraliste. La sage- femme est qualifiée pour diagnostiquer une grossesse et prendre en considération le passé médical et obstétrical. Elle évalue alors s'il y a un facteur de risque présent. Si oui, elle adresse la femme à un obstétricien. Si celui-ci confirme l'existence du risque, il continuera la surveillance prénatale et sera responsable de l' accouchement dans un hôpital.

     S'il y a un doute sur l'existence d'un facteur de risque, la sage- femme peut adresser la femme à un obstétricien pour un avis. Il donne son opinion mais c'est la sage-femme et la femme qui décideront ce qu'il faut faire: surveillance par la sage-femme et accouchement à l'hôpital avec la sage-femme présente ou accouchement à domicile.

     S'il ne semble pas y avoir de facteur de risque présent, la sage-femme continuera la surveillance prénatale et discutera du lieu d'accouchement avec la femme, l'hôpital ou la maison.

     32 % des accouchements ont lieu à domicile. Les sagesfemmes sont favorables aux accouchements à domicile. Les statistiques ont montré qu'elles trouvent l'accouchement à domicile plus valorisant, mais que cela demande beaucoup plus de temps et est plus fatigant que les accouchements à l'hôpital. Je voudrais ici lever une légende largement répandue en France. Non, il n'existe pas aux Pays- Bas, d'ambulance « à la porte» lors des accouchements à domicile.

     De tous les examens valables ou suggérés qui peuvent être appliqués aux femmes enceintes, il y en a dont le bénéfice paraît si évident que le gouvernement a décidé d~ les rendre financièrement accessibles à toutes les femmes enceintes (tels que facteur Rhésus, Hépatite B, rubéole).

     D'autres sont toujours controversés, tels que l'examen de routine par échographie. Alors qu'il n'y a aucun doute sur l'énorme avantage de cette technique dans les cas compliqués, la balance entre avantages et risques n'est pas si nette dans son utilisation de routine.

     Les sages-femmes peuvent envoyer une femme à l'hôpital pour cet examen, où un obstétricien supervisera les techniciens. Quelques sages-femmes ont leur propre appareil et il y a maintenant un consensus quant à l'idée d'établir des centres où des sages-femmes formées pratiqueront des échographies pour leurs collègues.

     Le point principal étant que, en tant que groupe professionnel, les sages-femmes sont libres de discuter le « pour » et le « contre» des échographies, mais ne sont pas tenues de se soumettre aux protocoles prescrits par les médecins.

     Je pense que c'est très important qu'un groupe professionnel bien formé, faisant sa propre recherche basée sur une philosophie différente de celle des médecins, puisse prendre part à des discussions sur ce sujet et d'autres sujets.

     A intervalles réguliers, la femme enceinte est vue par une sage-femme. Elle surveille la prise de poids, la tension artérielle, la croissance utérine, la position du bébé et ]' état général de la mère. A chaque visite prénatale, elle peut trouver des signes ou symptômes qui justifient un autre examen. Ce que nous appelons « l'appréciation» du risque est une des tâches les plus importantes de la sage-femme.

     Alors que 60 % des femmes commencent la surveillance de leur grossesse avec une sage-femme, 44 % accouchent, en fait. par les soins d'une sage-femme sous ce système de références.

     Que l'accouchement ait lieu à la maison ou à l'hôpital. c'est la sage-femme qui est responsable et prend les décisions. Si et lorsque des signes ou symptômes s'annoncent. posant un doute sur la progression et le déroulement de l'accouchement, elle adressera encore la femme à un obstétricien qui la prendra en charge.

     En général, la sage-femme s'abstient alors de toute décision obstétricale mais peut décider de rester avec la femme pour son soutien moral.

     Je pense que, parmi tous les pays de l'Europe de l'Ouest, seuls les Pays- Bas offrent une profession séparée de celle de sage-femme: celle d'infirmière obstétricale. C'est une infirmière avec une année supplémentaire de formation en obstétrique et gynécologie. Elle travaille sous les ordres d'un obstétricien et n'est pas qualifiée pour faire des actes obstétricaux tels que touchers vaginaux ou conduite d'un accouchement. Elle observe Ba femme en travail et assiste le médecin.

     Ceci est la raison pour laquelle seulement un petit nombre de sages-femmes travaille à l'hôpital. Nous les trouvons principalement dans les hôpitaux de formation (d'enseignement) où elles ont un rôle important dans l'enseignement de l'obstétrique aux étudiants en médecine et aux élèves sages-femmes.

     A I' époque où la technologie médicale croît à une vitesse où il devient difficile de rester au top niveau, où il devient encore plus difficile de réaliser que la plupart des grossesses se déroulent normalement et que la plupart des femmes est parfaitement capable d'accoucher sans interférence technique, il est presque impératif qu'il y ait un groupe de professionnels qui reconnaisse cette capacité des femmes. 

    
On enseigne aux sages-femmes tout ce qu'il y a à savoir sur toutes sortes de techniques, mais elles ont choisi la profession de sage- femme car elles sont convaincues que ces techniques ne devraient avoir qu'une utilisation limitée pour les seules femmes qui en ont vraiment besoin.

Dans le passé, les médecins ont décidé des limites de la normalité des grossesses et des accouchements.

Maintenant, je pense que nous entrons dans une ère où les sages-femmes, en tant que groupe professionnel, feront leur propre recherche et définiront elles-mêmes les limites de leur profession.

J'espère sincèrement que les sages-femmes hollandaises, dans cette recherche, trouveront à leur côté les sages-femmes de toute l'Europe et du monde.

 





14/07/2009
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